Ces français qui ont écrit le monde…

Quelques-uns des grands écrivains français ont été avant tout des grands voyageurs. Parce ce que leurs vies ont été extraordinaires, elles devaient être racontées. Comme eux ont su nous conter les pays alors méconnus qu’ils traversaient. Redécouvrez les auteurs qui, sous le signe du feu, de la terre, de la mer ou de l’air ont fait avancer notre connaissance du monde.

Ils sont en cela les écrivains voyageurs français.

Par les airs…

Certains écrivains n’ont pas hésité à prendre de la hauteur. Se sentaient-ils plus libres en altitude ? Ou est-ce tout simplement car les frontières n’apparaissent pas là-haut ?

 

Joseph Kessel (1898-1979) l’homme à l’état brut

Kessel s’engage très jeune dans l’armée de l’air. Dès la première Guerre Mondiale, il est pilote au sein de l’escadrille S39. Expérience dont il tirera un des ces premiers succès L’équipage. A seulement 21 ans, Kessel a déjà la croix de guerre, la médaille militaire et a fait deux tours du monde.

Toujours à la recherche de l’Aventure, il entame alors une carrière de grand reporter. Il sera durant des années de toutes les guerres, de tous les fronts. Irlande, Israël, Sahara ou Espagne. Résistant durant la deuxième Guerre, il est un des auteurs du chant des partisans.

Il poursuivit ensuite ses voyages qui lui inspireront ses plus belles œuvres. L’Afrique (Le lion), la Birmanie (La vallée des rubis) ou encore l’Afghanistan (Les cavaliers).

La piste fauve, Gallimard, 1954

Quatrième de couverture :

Joseph Kessel chez les Mau-Mau, au sein d’une révolte politique et religieuse où s’affrontent la conception pratique du monde. Le voici parmi les derniers seigneurs de la terre, qu’il s’agisse des grands fauves, des grands sorciers, des grands colons ou des grands chasseurs. Joseph Kessel refuse nos distinctions conventionnelles. Ce qui compte pour lui, c’est l’intensité de la vie qui passe à travers les créatures vivantes : bêtes, hommes blancs ou noirs. Au-delà d’un document et d’un reportage, on trouvera dans ce livre une vision poétique d’un monde où la poésie gît encore à l’état brut.

 

Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) l’éternel rêveur

« Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve. »

Pilote depuis son service militaire, cette expérience lui inspire ses premiers romans. Notamment Vol de nuit en 1931. Se consacrant de plus en plus à l’écriture, il effectue de grands reportages au Vietnam, à Moscou ou en Espagne.

Son chef-d’œuvre Le petit prince est écrit à New York durant la guerre et publié pour la première fois en France en 1945 à titre posthume. En effet, Saint-Exupéry meurt en 1944 dans le crash de son avion en mer méditerranée. Pendant longtemps, le mystère resta entier. Panne de moteur, évanouissement ou encore suicide. En mars 2008, un ancien pilote allemand affirme avoir abattu l’appareil de Saint-Exupéry le 31 juillet 1944. Saint-Exupéry : Mort pour la France

Terre des hommes, Gallimard, 1939, Grand Prix du roman de l’Académie

Préface

« La terre nous en apprend plus long sur nous que les livres. Parce qu’elle nous résiste. L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. Mais, pour l’atteindre, il lui faut un outil. Il lui faut un rabot, ou une charrue. Le paysan, dans son labour, arrache peu à peu quelques secrets à la nature, et la vérité qu’il dégage est universelle. De même l’avion, l’outil des lignes aériennes, mêle
l’homme à tous les vieux problèmes. J’ai toujours, devant les yeux, l’image de ma première nuit de vol en Argentine, une nuit sombre où scintillaient seules, comme des étoiles, les rares lumières éparses dans la plaine. Chacune signalait, dans cet océan de
ténèbres, le miracle d’une conscience. Dans ce foyer, on lisait, on réfléchissait, on poursuivait des confidences. Dans cet autre, peut-être, on cherchait à sonder l’espace, on s’usait en calculs sur la nébuleuse
d’Andromède. Là on aimait.

De loin en loin luisaient ces feux dans la campagne qui réclamaient leur nourriture. Jusqu’aux plus discrets, celui du poète, de
l’instituteur, du charpentier. Mais parmi ces étoiles vivantes, combien de fenêtres fermées, combien d’étoiles éteintes, combien d’hommes endormis… Il faut bien tenter de se rejoindre. Il faut bien essayer de communiquer avec quelques-uns de ces feux qui brûlent de loin en loin dans la campagne. »

 

Par les mers

Ceux-là sont partis sur la mer. Car si la mer est rigueur, elle est aussi liberté. Aucune route n’y est tracée.

 

Victor Segalen (1878-1919) le passager pour ailleurs

Paradoxalement, Victor Segalen est un auteur de la mer qui ne l’aime pas. Il n’aime pas y naviguer, il aime les escales, moments de rencontre avec les cultures et les civilisations d’ailleurs. C’est la terre qui le fait vibrer. Celle des rencontres, celle des échanges.

Il séjourne longuement à Tahiti, lui inspirant alors les immémoriaux. Puis il part pour la Chine. Médecin pour l’armée, il soigne notamment l’épidémie de peste en Mandchourie.

Il meurt d’une hémorragie en 1919 lors d’une promenade en forêt. Une tige plantée dans le talon. Un exemplaire de Hamlet dans la main.

René Leys 1922

Quatrième de couverture :

En 1990, Segalen, installé à Pékin et en quête de documents pour écrire Le fils du ciel, rencontre Maurice Roy, un jeune français qui pénètre librement dans la cité interdite et qui lui avoue être le chef de la police secrète et l’amant de l’impératrice. De cette amitié naitra René Leys.

Roman policier, roman exotique, roman d’apprentissage, René Leysest d’abord un roman initiatique.

 

 

Blaise Cendrars (1887-1961) le bourlingueur

D’abord aventurier, il signe son premier poème du pseudonyme de Blaise Cendrars. Pour la braise et les cendres, pour évoquer le phœnix. En 1915, engagé dans la légion étrangère, il est amputé de son bras droit, ce qui lui vaudra plus tard le surnom de poète gaucher.

Son œuvre toute entière est sous le signe du voyage, de l’aventure et des découvertes. Il se passionne pour l’Afrique et compile une Anthologie Nègre de contes de tradition orale. Mais sa véritable passion sera le Brésil qu’il découvre en
1924.

Une telle vie hors des sentiers battus lui inspirera son recueil le plus célèbre : Bourlinguer.
Onze récits pour onze ports plus ou moins imaginaires.

Bourlinguer, 1948

Extrait :

Ij était une pouffiasse, une femme-tonneau qui devait peser dans les 110, les 120 kilos ? Je n’ai jamais vu un tel monument de chairs croulantes, débordantes. Elle passait sa journée et sa nuitée dans un fauteuil capitonné, fabriqué spécialement pour elle et qu’elle ne cessait d’ornementer, d’enrubanner, lui tressant des faveurs, des nœuds, des lacets d’or et d’argent…

 

 

 

Par le feu

Ces auteurs sont de ceux qui brûlent, brûlent, brûlent intensément.

 

Romain Gary (1914-1980) les ailes brulées

Célèbre pour être l’unique auteur à avoir obtenu deux fois le prix Goncourt (la deuxième fois sous le pseudonyme d’Emile Ajar), Romain Gary est un auteur du feu.

D’abord du feu de l’action. Soldat durant la guerre, il sert les forces aériennes françaises libres dans tout le Moyen-Orient notamment en Libye, en Abyssinie, en Syrie et en Palestine. Il entame ensuite une carrière de diplomate notamment en Bolivie puis aux Etats-Unis.

Mais aussi du feu qui le ronge. Gary signifiant en russe brûle et Ajar la braise. Il met fin à ses jours d’une balle dans la bouche. « Moi, je suis incapable de vieillir, j’ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J’ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais. »

Les racines du ciel, Gallimard 1956, Prix Goncourt

Extraits :

« Quand vous n’en pouvez plus, faites comme moi: pensez à des troupeaux d’éléphants en liberté en train de courir à travers l’Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien en résiste, pas un mur, pas un barbelé, qui foncent à travers les grands espaces ouverts et qui cassent tout sur leur passage, qui renversent tout, tant qu’ils sont vivants, rien ne peut les arrêter – la liberté, quoi! Et même quand ils ne sont plus vivants, peut-être qu’ils continuent à courir ailleurs, qui sait, tout aussi
librement. Donc, quand vous commencez à souffrir de claustrophobie, des barbelés, du béton armé, du matérialisme intégral, imaginez ça, des troupeaux d’éléphants, en pleine liberté, suivez-les du regard, accrochez-vous à eux, dans leur course, vous verrez, ça ira tout de suite mieux… »

 

Albert Londres (1884-1932) porteur de plume dans la plaie

Plus qu’un écrivain voyageur, Albert Londres est avant tout un grand journaliste.

C’est un homme du terrain. Dès 1915, il est de tous les fronts européens et dès 1922, il parcourt le monde. D’abord au Japon et la Chine puis en Inde où il relate les actions de Gandhi, Nehru ou Tagore. Car Albert Londres est avant tout un homme d’engagement. En 1923, il part pour la Guyane. Son reportage sur les bagnes (Au bagne) suscite alors de vives réactions dans
l’opinion publique.

Suivront de nombreux reportages. Dont le chemin de Buenos Aires en 1927 qui raconte l’horreur des lieux de prostitution en Argentine. Revenant de son dernier voyage, en Chine, il meurt malheureusement dans l’incendie du bateau qui le ramène en France. Son article devait faire scandale mais brûle avec son auteur. Accident ou assassinat ? Le doute plane encore.

Terre d’ébène, 1927

Retombées en France : Pour Londres, «notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». A sa sortie, Terre d’ébène fait scandale, ce titre est un violent réquisitoire contre la politique coloniale française. Londres reçoit des menaces, des injures et une assignation à procès. Pourtant, il tient bon : « Je ne retranche rien au récit qui me valut tant de noms de baptême ; au contraire, la conscience bien au calme, j’y ajoute. Ce livre en fera foi. »

 

 

Par la terre

Cette terre, ils ont décidé de l’arpenter, de la gravir, de la parcourir… Et de la transmettre. Ils souhaitaient vivre dessus. Et non dessous.

 

Pierre Loti (1850-1923) l’homme du romantisme

« Il faut absolument que j’aime quelqu’un ; j’ai soif d’affection.»

Officier de marine, son œuvre est profondément inspirée par ses voyages. Chacun donnera lieu à un roman, de Tahiti au Sénégal en passant par le Japon. Des longs séjours en Asie lui inspireront ses succès comme Derniers jours de Pékin ou l’Inde sans les anglais.

Son cœur est pourtant tourné vers la Turquie. Il est fasciné par sa sensualité. Il va y écrire notamment deux superbes romans. Aziyadé, qui raconte l’histoire d’amour entre un officier de marine (les ouvrages de Loti sont toujours très
autobiographiques) et une jeune femme d’un harem. Ce roman, écrit sous la forme du journal intime et de la correspondance, est l’ouvrage emblématique de l’orientalisme. Le deuxième est Fantôme d’Orient.

Fantôme d’Orient, 1892

Extrait :

C’est donc vrai que je vais revoir Stamboul (Istanbul). C’est bien réel et prochain, ce pèlerinage auquel, depuis dix ans, je rêve… Depuis dix ans que les hasards de mon métier de mer me promènent à tous les bouts du monde, jamais je n’ai pu revenir là, jamais : On dirait qu’un sort, un châtiment m’en ait éloigné. Jamais je n’ai pu tenir le solennel serment de retour qu’en partant j’avais fait à une petite fille circassienne abimée dans le suprême désespoir.

 

 

Théodore Monod (1902-2000) l’humaniste

Un des plus grands spécialistes du Sahara. Très jeune, il découvre le désert mauritanien et décidera d’y consacrer sa vie. Ses 1200 publications sur le sujet en attestent.

Pendant la guerre, cet antimilitariste et pacifiste milite contre la collaboration du régime de Vichy. Ces chroniques à radio Dakar donneront lieu à un recueil, L’Hippopotame et le Philosophe. Théodore Monod consacre sa vie aux injustices. Il respecte la vie sous toutes ses formes.

En 1996, à l’âge de 94 ans, il effectue son dernier voyage dans le Sahara. Pour l’observer une dernière fois avant de perdre définitivement la vue.

Le chercheur d’absolu, 1997

Extraits :

« En vieillissant, je voyage beaucoup dans ma mémoire, même dans mon appartement, situé dans le navire de Paris.

Je retrouve la leçon du désert, son épure, son chant du silence, dont j’aimerais que soit empreinte la soi-disant civilisation étouffée par l’anthropomorphisme triomphaliste et orgueilleux. Ce serait une renaissance, la supervie et non la survie. La préparation d’un homme cosmique, spirituel et authentique, dépouillé de ses inutilités.

Moins d’artifice, de bruit et de fureur. La nature nous apprend la sagesse. Le Sahara nous enseigne à ne pas gémir, à ne pas parler inutilement. Le désert, comme le diocèse, vous ponce l’âme, vous apprend les gestes en symbiose avec le corps, une certaine lenteur intérieure. Le désert nous donne la notion de l’immensité, du temps et de l’éternité. L’être humain ne ressent plus son existence comme un éclair sur la terre « .

1 Comment

  • Répondre mars 17, 2013

    Martin

    Merci pour cet article très intéressant, les écrivains voyageurs sont nombreux dans la litterature francaise, et c’est tant mieux !

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