C'EST OU L'AMERIQUE ?

Partout. L’Amérique, c’est partout. Et croyez pas que je divague ou que j’anti-américanise primaire et sauvage. C’est pas moi qui l’ai dit, c’est Boorstin. C’est pas rien Boorstin. Historien, Directeur de la Bibliothèque du Congrès à Washington, plus grande bibliothèque du monde, c’est du lourd. Une sorte de Leroy-Ladurie américain pour vous donner une idée. Qu’est ce qu’il nous dit, Boorstin ? Que pendant deux siècles, les USA se sont construits sur l’idée de frontière à repousser. Passer le Mississippi, traverser les Grandes Plaines, franchir les Rocheuses, toujours aller plus loin. Go west, young man. Le problème, c’est qu’un beau jour, ils sont arrivés au bout, sur les plages du Pacifique. Plus de frontière. Et comme on était à la fin du XIXème siècle, plus de colonies à conquérir non plus. Les Européens avaient piqué tout ce qui était possible : quand le cow-boy dézinguait le Comanche, le Belge s’occupait du Pygmée. Chacun ses priorités.

Trouver de nouvelles frontières, c’était pas simple. Au début, ils ont une idée de génie : aider les peuples à se libérer. Ils ont commencé par les anciennes colonies espagnoles, Cuba, les Philippines. C’était une super bonne idée : ça va dans le sens de l’Histoire, on a les avantages commerciaux et militaires (Guantanamo, ça date de cette époque, comme quoi…) et on est pas obligé d’éduquer les pauvres et de nourrir les indigents. En plus, ils disent merci. Les colonies espagnoles, ça va pas très loin. Alors on a exploré, on a créé des sociétés géographiques, on a évangélisé partout où on a pu, surtout en Asie. Vu que pour nous l’Asie, c’est à l’est, mais pour eux, c’est à l’ouest… Go west, young man. La Chine, ça leur plaisait bien. Je me souviens d’un article du Chinese Recorder, un journal missionnaire établi à Canton, où un baptiste (ou un adventiste ou un pentecôtiste) expliquait doctement que toutes les civilisations s’étaient créées autour d’une mer et qu’après la Méditerranée et l’Atlantique, était venu le temps du Pacifique : le monde moderne allait se construire entre la Chine et les USA. Mais sous férule américaine, les Chinois étaient pas assez évolués pour créer une civilisation. Texto. C’est dire qu’ils avaient peur de rien les repousseurs de frontières. Jusqu’à Kennedy qui leur affirme que l’espace est la « nouvelle frontière » qu’il s’agit de conquérir. Bon, c’est pas aussi simple que d’envahir le Montana et on se demande à quoi ça sert. Je veux dire, concrétement. Le Montana, tu peux y construire un ranch pour murmurer à l’oreille des chevaux. La Mer de la Sérénité, c’est pas pareil. On voit bien toutes les implications de la thèse de Boorstin. Pour repousser infiniment les frontières, faut vivre sur un espace infini. Sinon, t’es bien obligé d’aller chez tes voisins et peut-être qu’ils seront pas toujours d’accord. Certes, on n’est pas obligé d’y aller avec des soldats. On peut commencer par les convaincre de manger américain, de boire américain, de se divertir américain, de s’habiller américain. C’est un bon début. Sauf que ça marche pas à tous les coups. Y’a des résistances. Des mecs qui te montrent une carte et une frontière sur une carte et qui t’expliquent que cette frontière, elle ne bougera pas. Là, le clash est pas loin. Boorstin est un sacré bon éclairage pour comprendre le fonctionnement du monde contemporain. Quand un peuple rêve d’infini dans un monde fini, les conflits sont inévitables mais celui qui les suscite ne peut pas les comprendre. Surtout, s’il a changé. Et le rêve d’infini oblige à changer. Deux exemples simples : dans les années 1920, Henry Ford déclarait que la rémunération d’un patron ne devait pas excéder dix fois celle du salarié le moins bien payé de sa boîte. Dix fois ! Raconte ça à Wall Street, aujourd’hui, t’es sûr de faire marrer tout le monde. Pas qu’à Wall Street d’ailleurs, mais le sujet, c’est les USA, faut pas se disperser. Ford pose une limite, une frontière, il faut la repousser. La Terre est infinie, la croissance est infinie, y compris celle des salaires. Des fois, je relis Whitman ou Thoreau ou (surtout) John Muir. Ces types ont créé un mouvement fabuleux de préservation de l’environnement. John Muir le dit très clairement ; les paysages sont les vrais monuments de l’Amérique et il faut les protéger. Résultat : les USA inventent le concept de Parc National, dès les années 1880. Les mêmes USA refusent aujourd’hui le Protocole de Kyoto. Là encore, la préservation est une frontière qui doit être repoussée. Surtout chez les voisins. Alors, oui, l’Amérique, c’est partout. Comme Dieu. Vous avez remarqué ? Obama finit son premier discours en bénissant l’Amérique et ses interlocuteurs. Les Américains consomment autant de Bibles que de hamburgers et dans la Genèse, Dieu donne la Terre à l’Homme. Toute la Terre. Sans limites. Sans frontières. Bon, c’est pas tout ça. Mon fils a mis sa casquette de base-ball et m’attend pour aller manger un hamburger. J’espère que ma femme est revenue du super-marché avec le 4 x 4….

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