DIS MOI COMMENT TU PARLES

« Where are you coming from ? France ? Oh, you are a papist » Un papiste. Moi. Moi qui cherche avec abnégation et sévérité à être un modèle d’athéisme ou d’agnosticisme. Attention. Ça ne m’empêche pas de lire des livres religieux ou des textes sacrés. Au contraire. Mais, papiste, on ne me l’avait jamais faite. Surtout avec celui-là, de pape. Je me sens pas trop d’atomes crochus avec lui. Je lui veux pas de mal, mais on est assez différents, lui et moi.

Précision : on est à Belfast. Dans un pub. Et le mec qui vient de me crucifier (je la trouve amusante, celle là), il est barman, jeune, rigolard. Il aurait pu me traiter de vieux ou de bouffeur de grenouilles ou de je ne sais quoi. Non, spontanément, il a dit « papiste ». Tiens « loser », j’aurais compris, les Irlandais viennent de nous filer une toise au seul sport qui aurait pu nous rapprocher. Ben non, il parle pas rugby, il étiquette religion. Bon, j’écrase. S’ils sont tous comme ça dans le pub, c’est mal barré. Mon copain Howard, il se marre. Il me connaît assez pour savoir que je suis mal. Il veut me consoler, alors il me raconte que sa première mission de cartographe, c’était à Belfast. On l’avait chargé de dresser la cartographie des égouts de la ville et d’identifier les endroits où les catholiques pouvaient poser des bombes. Pourquoi les catholiques ? Il hausse les épaules. C’est les catholiques qui posaient les bombes. Point barre. Et moi, je suis Français et donc catholique. Faut les comprendre. J’ai déjà vécu ça. A Madrid, il y a vingt ans. Tu disais au mec d’en face que tu étais Basque, il était à deux doigts d’appeler la Guardia Civil. D’un coup, l’ambiance fraîchissait. Les Basques aussi, ils posaient des bombes dans les égouts. Ça me poursuit, ce truc. Moi qui déteste les égouts parce que j’ai peur des rats. Le plus clair, c’est que t’as intérêt à éviter les étiquettes. A n’être rien. Enfin rien qui dépasse. C’est quasiment impossible. Dès que t’ouvres le bec, t’as un vieux relent d’accent qui remonte et l’autre en face, il a sorti le stylo pour t’étiquetter. Il va au plus simple. Papiste. Et comment je vais lui expliquer avec mon anglais appris au Pays basque que Maman est protestante, que mon directeur de thèse était protestant, que mon boss est protestant et que chez nous, le problème a été réglé depuis quelques siècles ? En plus, je fais pareil. On fait tous pareil. Le racisme entre par les oreilles. Tu veux te moquer de quelqu’un, même gentiment, t’imites son accent. Après, tu peux toujours dire que c’est de l’humour ou ce que tu veux : la cible, elle est dessinée sur le front de l’autre. Et l’autre, c’est celui qui parle pas comme toi, qui parle pas conforme. Des fois, il sublime. Raimu. Tellement génial, tellement talentueux, tellement énorme que son accent, il t’écrase dessous, il te le balance dans les oreilles, il te fait croire que c’est toi qui sais pas parler. Il te fait honte de ta conformité. C’est rare. Le premier qui en a fait un truc littéraire, c’est Balzac. Honoré, il adorait retranscrire les accents. Sa vedette, c’était le banquier Nucingen. Nucingen disait « je vous en prie » et Balzac écrivait « Che fous en prie ». C’est un tic qu’on retrouve encore dans les mauvais romans et les récits de voyages. Et chez Tintin. C’est vrai, il faut que le lecteur comprenne bien que le personnage, il est exotique. Y’a qu’à l’écouter parler. Plus exactement, le lire parler vu que c’est de l’écrit. Si on réfléchit un peu, on peut s’amuser à dresser une typologie des accents. Il y a les sympathiques comme le québécois (Céline Dion), les rigolos (et donc sympathiques) comme le marseillais (Jean-Claude Gaudin dont je suis certain qu’il force le trait), les rigolos avec une pointe de ridicule comme le wallon, l’inquiétant comme l’accent corse, le rustique comme le gascon qui roule les R. On en vient à ne pas écouter le message mais l’accent qui le véhicule et donc, on passe à côté. Mais quoiqu’on fasse, l’accent entraîne la condescendance et l’absence d’accent marque toujours une certaine supériorité. On imagine que la diversité passe par des traits physiques comme la couleur de la peau. Bernique ! La diversité, elle est d’abord linguistique et musicale. Obama, il est Noir mais il parle Harvard, ça rassure. La première différence qu’on perçoit, c’est la langue, ce qui assure le succès des imitateurs. Bien entendu, c’est pire parce que ça renvoie à du sous-jacent, à du stéréotype mal digéré. Si tu parles comme ça, c’est que tu es comme ça. Le vrai racisme est linguistique. Insidieux et linguistique. Regardez la pub. L’accent, elle aime, ça permet d’aller vite pour situer la scène Une pointe d’accent provençal, y’a rien de mieux pour vendre de l’huile d’olive. Mais si on regarde de près (ou si on écoute de près), l’accent n’affecte jamais que des personnages un peu ploucs ou carrément rustiques. Les top-models n’ont pas l’accent chti’. Et les jeunes cadres dynamiques ne roulent pas les R. Chacun son monde. Je dois avouer que, quand je me balade en France, j’ai des frissons en écoutant tous ces gamins qui causent comme à la télé. Je ne sais plus très bien où je suis, peu à peu la diversité se gomme. On se bat pour la diversité biologique, mais on laisse disparaître la diversité linguistique. L’accent n’est plus un marqueur géographique mais un marqueur social. Ce n’est plus un facteur d’enrichissement mais un facteur de discrimination. Ceci dit, j’exagère. Je suis déjà allé en Irlande, on ne m’a jamais traité de papiste. Du coup, moi, je me suis souvenu qu’à Belfast, je n’étais pas en Irlande, mais au Royaume-Uni. Si j’y retourne, je mettrais mon joli bonnet de prières acheté dans le souk du Caire. Comme ça, ils ne pourront plus me traiter de papiste. Il faut toujours un peu brouiller les pistes.

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