raymond

COEURS DE METIER

Nous avons souvent cette discussion entre libraires : qu’est-ce que notre « cœur de métier » ? Ce qui suppose de savoir ce qu’est notre métier. C’est simple, en fait : nous sommes libraires de voyages. Nous vendons aux voyageurs des documents pour préparer leurs voyages. Tous leurs voyages. Quels qu’ils soient. C’est dire que notre cœur de métier est plus vaste qu’il n’y paraît. Car si pour certains, c’est facile, par exemple, une randonnée hivernale en remontant le fleuve Zanskar ou une croisière le long du Nil, pour d’autres, c’est un peu plus complexe. Un voyage à la rencontre des ethnies bantoues. Une balade à cheval jusqu’aux sources du Mékong. La découverte des villages louisianais où sont nés les plus grands musiciens de jazz. La recherche des sites préhistoriques dans le Pérou du sud. Ce sont juste quelques exemples tirés de notre quotidien. Là, les guides classiques sont inopérants. Ou, à tout le moins, insuffisants.

Nicolas JAEGER

Il a glissé lentement dans les crevasses de l’oubli. Il n’est de semaine que je ne pense à lui. Nicolas Jaeger a certainement été l’alpiniste français le plus brillant. Le plus séduisant. Nicolas était l’homme de tous les superlatifs. On a oublié. Les années 80. L’alpinisme est presque médiatique. Tout a été grimpé, l’âge de l’exploration est terminé. Commence le temps de l’exploit. Et un exploit, il y en a un, qui n’est pas à la portée de tout un chacun. Quel sera le premier homme à grimper les 14 sommets de plus de 8000 m, seul, sans expédition lourde, sans porteurs ?

LE MASCULIN N'EXISTE PAS

C’est pas une fausse provoc. Juste une réalité linguistique. Dans la langue française, comme dans beaucoup de langues indo-européennes, le masculin n’existe pas. Ce que nous appelons le masculin est en réalité un neutre. Un genre sans genre, un genre asexué. Bon, je vous accorde, un seul genre sans sexe, c’est pas très pratique pour décrire le monde. Surtout les femmes. Alors, du coup, on a inventé le féminin. Y’a même des peuples, des compliqués, qui ont inventé le masculin. En anglais, il y a les trois, le neutre, le féminin, le masculin. Le masculin, c’est réservé aux hommes, pas aux choses. Les choses n’ont pas de sexe en anglais (sauf les bateaux qui sont féminins, va savoir pourquoi).

UNE ESPAGNE CENTRIFUGE

L’Espagne n’existe pas. Et ce n’est pas d’hier. Au Xème siècle, quand Inigo monte sur le trône à Pampelune, il se proclame « roi de toutes les Espagnes ». Au pluriel. Ce pluriel qui peut paraître singulier. Et allez donc à Oviedo, en Asturies. Ils ont un proverbe génial : « Asturias es España. Lo demas, tierras conquistadas ». L’Asturie, c’est l’Espagne, le reste c’est des colonies. Historiquement, c’est vrai ou à peu près vrai. Les Berbères n’ont jamais conquis les terres atlantiques : Asturies, Cantabrie, Galice, provinces basques. Ils ont occupé l’Espagne ocre, les plateaux de Castille, la vallée de l’Ebre, l’Andalousie, toutes ces terres qui ressemblaient à leur terre africaine. Moi, j’ai une théorie qui vaut ce qu’elle vaut : leurs chevaux n’étaient pas habitués aux verts pâturages. On ne fait pas la guerre avec des chevaux malades.

LA CHINE EST UN CARRE

La Chine est un carré. Fermé. Pas que la Chine d’ailleurs mais c’est d’elle qu’on parle. En chinois, le caractère « guo » qui signifie « pays » est un carré. Fermé. Avec l’Empereur au milieu. Le carré, c’est ce qu’on appelle « la clef du champ ». Du champ, pas des champs, vu qu’on n’en sort pas. Un carré bien fermé, c’est un champ. Le signe au milieu, c’est le caractère de l’Empereur, médiateur entre la Terre et le Ciel. C’est clair. Un pays est un ensemble fini : chacun chez soi. Un pays est dirigé par un homme qui possède l’onction divine. Si on regarde une carte, c’est pas faux : déserts au nord et à l’ouest, Himalaya au sud, océan à l’est, la Chine est un carré.

Jean CHESNEAUX

Du haut de l’amphithéâtre bondé et silencieux, on se sentait écrasé de la présence de la petite silhouette auréolée de cheveux gris. Jean Chesneaux nous racontait la Révolte des Taipings, cet immense désastre qui a coûté de 100 à 150 millions de morts à la Chine au cœur du XIXème siècle, essentiellement par la faute des puissances occidentales. Il avait alors une réputation solidement établie de communiste stalinien alors même que sa réflexion personnelle l’éloignait de plus en plus du PCF avec lequel il rompra à la fin des années 1970. Chesneaux n’était historien que pour mieux comprendre les désordres et les injustices du monde.

C'EST OU L'AMERIQUE ?

Partout. L’Amérique, c’est partout. Et croyez pas que je divague ou que j’anti-américanise primaire et sauvage. C’est pas moi qui l’ai dit, c’est Boorstin. C’est pas rien Boorstin. Historien, Directeur de la Bibliothèque du Congrès à Washington, plus grande bibliothèque du monde, c’est du lourd. Une sorte de Leroy-Ladurie américain pour vous donner une idée. Qu’est ce qu’il nous dit, Boorstin ? Que pendant deux siècles, les USA se sont construits sur l’idée de frontière à repousser. Passer le Mississippi, traverser les Grandes Plaines, franchir les Rocheuses, toujours aller plus loin. Go west, young man. Le problème, c’est qu’un beau jour, ils sont arrivés au bout, sur les plages du Pacifique. Plus de frontière. Et comme on était à la fin du XIXème siècle, plus de colonies à conquérir non plus. Les Européens avaient piqué tout ce qui était possible : quand le cow-boy dézinguait le Comanche, le Belge s’occupait du Pygmée. Chacun ses priorités.

LE TIBET N'EXISTE PAS

Merde. Ça commence mal….. Pourtant tout le monde connaît et tout le monde sait où c’est. Faut se méfier de ce que tout le monde connaît : Galilée a failli y laisser la peau. Bon, alors où c’est ? Dans la haute vallée du Brahmapoutre. Ben oui, aussi. Sur les pentes de l’Himalaya du sud ? Ben oui, aussi, au Ladakh, au Népal. Au Népal ? Ben oui, les Sherpas sont des Tibétains comme le montre le suffixe PA (pardon à mes maîtres, on dit « la particule enclitique » en linguistique). PA, ça signifie que ce sont des hommes et c’est du tibétain. C’est un peu en Russie, je vous l’ai dit. Là-bas, on dit « Bouryatie » mais c’est quasiment pareil. Au Sichuan aussi. Comment ? En Chine ? Ben oui. Au printemps, depuis la petite ville de Ya’an, au Sichuan, va démarrer la transhumance des nomades tibétains. Je vous rassure, on n’y organise pas de voyage. Il n’y a que quelques dizaines de bergers tibétains avec leurs troupeaux qui remontent pour l’été sur les hauts plateaux. J’ai vu des images. C’est chouette. Mais c’est pas au Tibet. Enfin, pour nous. Parce que eux, c’est des Tibétains et ils ne se posent pas trop la question de savoir où est le Tibet. Pareil pour les Lolos, ces Tibétains primitifs du Yunnan. Pourquoi je dis primitifs ? Ben parce qu’ils sont pas trop Tibétains, les Lolos. Déjà le nom….

LE JAPON EST UN NAIN

On l’oublie trop souvent parce qu’on ne regarde que l’économie. Là, chapeau, le pays crache du dollar. What else ? comme dirait mon jumeau Georges Clooney. What else ? parce que le Japon est un nain. Les Japonais vivent sur moins de 20% de leur territoire. Pour vous donner une idée, 120 millions de Japonais vivent sur une superficie égale à celle de l’Aquitaine, le triangle Bayonne-Bordeaux-Toulouse. Ça laisse pas beaucoup de place pour chacun. Faut pas croire qu’ils construisent des gares en sous sol et des autoroutes en étage pour le plaisir. A Tôkyô, le loft de 300 m2 en centre ville, c’est pas la règle. A part l’Empereur qui a ses aises, les autres ils planquent le futon dans les armoires pendant la journée.

DE LA TRADUCTION

Ben voilà. Le blog est ouvert. Et voilà une première actu. On va pas s’étaler, là dessus. A vous de réagir. L’une des nouvelles qui fait un gros titre dans Livres-Hebdo (désormais, on dira LH pour faire professionnel), c’est que les Français sont de gros consommateurs de traductions. On traduit de toutes les langues, y compris le moldo-valaque ou le gallo septentrional. On a l’appétit de la fiction exogène (LH s’intéresse surtout à la fiction, la physique quantique c’est moins sexy). C’est sympa, ça prouve une ouverture d’esprit.